Prépondérance de la vue
Le cerveau amplifie les informations visuelles (et contextuelles). Selon le chercheur Gabriel Lepousez neurobiologiste, spécialiste de la perception sensorielle et de la plasticité du cerveau à l’Institut Pasteur, fermer les yeux augmente l’activité dans le cortex olfactif/gustatif. Après 3 minutes sans la « vue », les autres sens prédominent (nez et bouche). La vue du verre de vin et de sa couleur crée au sein du cerveau un phénomène de prédiction et d’anticipation du goût de ce que l’on va déguster.
Si vous observez une couleur rouge intense dans votre verre, vous allez déjà anticiper et saliver des saveurs de fruits rouges. Inconsciemment, vous ne pourrez pas envisager la possibilité de ressentir des agrumes et fruits blancs.
Et la bouche dans tout cela ?
Privilégier le toucher en bouche pourrait être une meilleure porte d’entrée à la dégustation : si l’on observe nos récepteurs sensoriels au sein de notre cerveau, 20% de notre toucher concerne l’appareil buccal (lèvre, langue, palais, gorge, mâchoire…). Ainsi, en observant l’homonculus, une carte qui visualise l’assignation des aire motrices et somatosensorielles du cortex cérébral humain aux diverses parties du corps, nous prenons conscience de l’importance de la bouche avant tout dans la dégustation.
Le sens du toucher est lié directement au cerveau qui reçoit des signaux et implique des réactions émotionnelles. D’ailleurs, c’est le premier sens qui se développe dans le fœtus, avant la vue et l’ouïe ! La salive se révèle être un élément essentiel à la dégustation.
En avoir l’eau à la bouche…
S’intéresser à la salive, c’est écouter comment le corps réagit de façon inconsciente pour comprendre de façon plus globale le message du vin. La salivation n’est pas constante, elle va être modifiée par le goût du vin ainsi que les réactions avec d’autres aliments selon la variété des saveurs.
La salive est sensible à la composition du vin qui va stimuler différentes glandes. En premier, on pourra apprécier en bouche la consistance de la salivation. Dans un second temps, le dégustateur peut se concentrer sur le lieu de salivation.
Plus la composition est chargée en minéraux (souvent pour des vins issus de terroir sédimentaire, argilo-calcaire), plus on observe une salivation fluide et sur le côté de la langue, sollicitant les glandes parotides. Plus la composition est chargée en acides aminés (pour des vins issus de terroir cristallin comme le granit), plus la salivation est compacte et sur le bout de la langue, sollicitant les glandes sublinguales.
Les tanins sont un bon exemple de la modification de la consistance de la salive par rapport à un stimuli : quand les protéines des tanins rencontrent la salive, un phénomène de précipitation se crée. Le changement va entraîner un assèchement de la muqueuse (perte de lubrification), et la muqueuse va être irritée par le grain du tanin. L’ensemble de ces éléments démontre que notre langue est particulièrement bien équipée en termes de récepteurs tactiles et qu’il est donc intéressant d’explorer cette voie en dégustation.
Oublions la carte de la langue
Grâce aux récentes recherches, on sait que la cartographie de la langue n’existe pas. Ce sont des réactions des nombreux bourgeons gustatifs présents sur notre langue (l’acidité du citron par exemple crée une réaction de resserrement sur les côtés de notre langue mais l’acidité est détectée par l’ensemble des cellules réceptrices en bouche).
D’après les travaux de recherche de Cyrille Tota et son dernier livre « Le toucher du vin », cette approche tactile qu’est la méthode de dégustation géo-sensorielle « donne donc tout naturellement une primauté a la bouche.
C’est grâce à elle que l’on va « lire le terroir ». C’est déjà avec la bouche que l’on ressent le message du lieu. La texture, elle, va jouer un rôle fondamental.
Quatre sensations en bouche complémentaires vont concourir à déterminer la texture du vin dégusté :
- la consistance
- la souplesse
- la viscosité
- la vivacité.
À propos de consistance…
« C’est comme dans le croquant : la force pour mâcher l’aliment est mesurée par les tendons situés en dessous des dents ainsi que les muscles de la mâchoire ; tout cela informe le cerveau de la dureté de l’élément qu’on a en bouche. Le cerveau lit ainsi la force qu’on doit appliquer. » Gabriel Lepousez
Ces propos de Gabriel Lepousez démontrent ici l’importance des informations perçues en bouche qui sont ensuite transmises à notre cerveau : reste à en prendre conscience lors des dégustations !
Alors le goût du vin révèlerait-il le goût du terroir ?
Cette interrogation a produit une littérature considérable mêlant expérimentations, pratiques mystiques comme celles des moines cisterciens qui goûtaient la terre bourguignonne aux récents livres et travaux de recherche (La dégustation géo-sensorielle de Jacky Rigaux en 2012, Le Toucher du Vin de Cyrille Tota en 2022). La question se pose toujours parmi les professionnels et constitue même parfois une nouveauté auprès de sommeliers formés aux méthodes classiques instaurées par l’INAO.
Le sujet peut devenir politique, commercial avec des enjeux économiques, car cette méthode distingue les vins de terroir, c’est-à-dire les vins provenant d’un lieu doté d’un climat, en respect avec la nature et une pratique vigneronne intuitive… des vins techniques, des vins de cépage ou encore de marque qui auraient pu être produits n’importe où.
Ces vins techniques n’ont pas pour vocation de révéler les spécificités d’un endroit mais d’assurer un goût constant et reconnaissable au consommateur. En dégustation géo-sensorielle, la salivation sur ces vins techniques se distingue souvent des vins de terroir par la qualité de la salivation. Toujours est-il qu’à l’heure actuelle, cette dégustation reste complémentaire aux autres.
Si vous souhaitez en savoir plus sur la méthode et le CERTIFICAT DE DÉGUSTATION de Dégust’Emoi.
Rédactrice : Isabelle Johanet